Au cœur du grand oeuvre musical de Led Zeppelin (3)
La discographie de Led Zeppelin révèle un groupe en perpétuelle évolution se souciant peu des étiquettes et des attentes. Chaque album représente un chapitre de son histoire et de celle du rock.
[Chapitre 1] [Chapitre 2] [Chapitre 3] [Chapitre 4] [Chapitre 5]
Dans l'histoire tumultueuse du rock, peu de groupes ont laissé une empreinte aussi profonde que Led Zeppelin. Formé sur les ruines des Yardbirds en 1968, ce quatuor britannique allait redéfinir les contours de la musique rock pour les décennies à venir. Jimmy Page, Robert Plant, John Paul Jones et John Bonham ont réalisé un grand oeuvre musical qui a transcendé les genres, fusionnant blues, rock, folk, musique classique et influences orientales dans un son distinctif et puissant.
Ce petit essai retrace leur parcours, des petites salles de Londres aux grands stadiums de l’Ouest américain, et leur ascension fulgurante faite d'excès légendaires, de controverses et d'une fin tragique. Il plonge également au cœur de leurs influences, de la quintessence de leur musique et de l’héritage qu’ils ont laissé.
Chapitre 3 : Les albums emblématiques
Led Zeppelin (1969) - La naissance d'un son révolutionnaire
Le premier album éponyme de Led Zeppelin, enregistré en seulement 30 heures, représente un moment charnière dans l'histoire du rock. Dès les premières notes de "Good Times Bad Times", la batterie explosive de Bonham et la ligne de basse virtuose de Jones posent immédiatement les bases d’une section rythmique à la sophistication inédite sur laquelle Page et Plant vont pouvoir expérimenter et construire l’identité sonore du groupe.
L’album se distingue par une fusion organique de blues électrique ("You Shook Me", "I Can't Quit You Baby") et d'innovations sonores audacieuses. "Dazed and Confused", avec l’utilisation d'un archet sur la guitare de Page et ses changements dynamiques dramatiques, illustre parfaitement cette approche.
"Babe I'm Gonna Leave You" révèle déjà leur maîtrise des contrastes entre passages acoustiques délicats et explosions électriques. L'album se conclut par "How Many More Times", une suite épique qui mélange diverses influences blues dans une structure complexe et improvisée.
Bien que souvent perçu comme un album blues-rock, le premier album de Led Zeppelin contient déjà tous les éléments qui définiront leur son : virtuosité instrumentale, expérimentation sonore, contrastes dynamiques extrêmes et une section rythmique sans équivalent dans le rock.
Led Zeppelin II (1969) - L'affirmation d'une identité
Enregistré pendant leur première tournée américaine dans divers studios, Led Zeppelin II capture l'énergie frénétique du groupe en pleine ascension. Le son est plus cohésif, plus distinctif et plus puissant encore que sur le premier album.
"Whole Lotta Love", avec son riff iconique et sa section centrale psychédélique, définit ce que sera le hard rock pour la décennie à venir. L'innovation technique est évidente, Page utilisant le studio comme instrument à part entière, avec des effets de panoramique et des manipulations sonores révolutionnaires pour l'époque.
"Ramble On" illustre leur capacité à mêler douceur acoustique et puissance électrique dans un même morceau, tandis que "Moby Dick" met en valeur la virtuosité phénoménale de Bonham. "Heartbreaker", avec son solo de guitare non accompagné, établit Page comme un guitariste visionnaire.
Cet album marque également une évolution dans l'écriture, le groupe s'éloignant des reprises pour développer son propre matériel. Les paroles s'enrichissent de références mythologiques (notamment tolkieniennes dans "Ramble On"), établissant la fascination de Plant pour le mysticisme et le fantastique.
Led Zeppelin III (1970) - Le virage acoustique et folklorique
Après deux albums électriques, Led Zeppelin surprend avec un troisième opus largement acoustique, fruit d'une retraite dans le cottage gallois de Bron-Yr-Aur. Cette évolution reflète le désir du groupe d'échapper aux limitations du hard rock.
La face A maintient une certaine continuité avec "Immigrant Song" et son riff viking emblématique, mais introduit des éléments nouveaux comme les percussions exotiques de "Friends". La face B est une exploration profonde du folk britannique et américain, culminant avec "That's the Way" et "Bron-Y-Aur Stomp".
"Gallows Pole", adaptation d'un standard folk, illustre leur capacité à transformer des matériaux traditionnels en créations personnelles. "Since I've Been Loving You", monumentale complainte blues, montre que leur virage acoustique n'implique aucun renoncement à l'intensité émotionnelle.
Cet album, initialement moins bien reçu par la critique que ses prédécesseurs, est aujourd'hui reconnu comme essentiel dans leur évolution artistique, démontrant leur refus d'être cantonnés à une formule et leur ambition d'explorer tous les territoires musicaux.
Led Zeppelin IV (1971) - Le chef-d'œuvre absolu
Souvent considéré comme leur magnum opus, le quatrième album (officiellement sans titre) représente la quintessence du son Zeppelin, équilibrant parfaitement tous les aspects de leur musique.
"Stairway to Heaven", pièce maîtresse de l'album, est une composition en plusieurs mouvements qui commence par une introduction acoustique délicate avant de culminer dans un final électrique intense. Sa structure progressive et ses paroles mystiques en font l'emblème de l'ambition artistique du groupe.
L'album alterne entre hard rock brutal ("Black Dog", "Rock and Roll"), folk celtique ("The Battle of Evermore"), blues-rock atmosphérique ("When the Levee Breaks") et ballade acoustique ("Going to California"). Cette diversité n'empêche pas une cohérence remarquable, unifiée par une production impeccable et une vision artistique claire.
L'utilisation de symboles au lieu de titres ou de noms sur la pochette reflète leur rejet des conventions commerciales et leur désir d'être jugés uniquement sur leur musique. Cet album marque l'apogée de leur succès commercial et critique, définissant ce que pouvait être le rock à son plus haut niveau d'ambition artistique.
Physical Graffiti (1975) - L'apothéose
Double album monumental, Physical Graffiti représente l'expression la plus complète et la plus ambitieuse de la vision musicale de Led Zeppelin. Il comprend des morceaux enregistrés sur plusieurs années, certains datant des sessions des albums précédents.
"Kashmir" incarne parfaitement l'évolution du groupe, avec son orchestration complexe, ses influences orientales et son atmosphère épique. Ce morceau, que Page considérait comme l'essence même de Led Zeppelin, illustre leur capacité à transcender les limites du rock.
L'album expose toute la palette sonore du groupe : funk-rock ("Trampled Under Foot"), blues acoustique ("In My Time of Dying"), country-rock ("Down by the Seaside"), hard rock brutal ("The Wanton Song") et expérimentations diverses ("In The Light").
La cohérence remarquable de cet ensemble hétéroclite témoigne de la maturité artistique atteinte par le groupe. Physical Graffiti représente Led Zeppelin au sommet de sa puissance créative, avant que les excès et les tragédies personnelles ne commencent à affecter leur production.
Les derniers albums
Les trois derniers albums studio du groupe - Presence (1976), In Through the Out Door (1979) et Coda (1982, posthume) - montrent une évolution continue du groupe malgré les difficultés personnelles croissantes rencontrées par ses membres.
Presence, enregistré alors que Plant se remet d'un grave accident de voiture, offre un retour aux sources rock avec l'épique "Achilles Last Stand". “In Through the Out Door” reflète l'influence grandissante de Jones avec son utilisation de synthétiseurs et des structures plus pop, illustrant la capacité du groupe à évoluer avec son temps.
Ces œuvres tardives, bien que parfois éclipsées par leurs prédécesseurs mythiques, contiennent des moments de brillance qui confirment que, jusqu'à la fin, Led Zeppelin est resté un groupe d'innovation constante, refusant toujours de se reposer sur ses lauriers ou de répéter des formules éprouvées.
La playlist définitive
La playlist ci-dessous reflète les multiples facettes de Led Zeppelin : puissance brute, sensibilité acoustique, racines blues profondes, expérimentation sonore et exploration de mythologies diverses. Elle illustre pourquoi, au-delà d'être simplement un grand groupe de rock, Led Zeppelin a créé un langage musical unique qui continue à résonner à travers les générations.
Les fondations du son Zeppelin
"Good Times Bad Times" (Led Zeppelin I, 1969)
Premier morceau du premier album, cette pièce établit immédiatement l'alchimie musicale du groupe, avec la batterie révolutionnaire de Bonham et l'interaction magistrale entre tous les membres."Whole Lotta Love" (Led Zeppelin II, 1969)
Avec son riff iconique et sa section centrale psychédélique, ce morceau définit le hard rock et illustre l'innovation sonore de Page en studio."Immigrant Song" (Led Zeppelin III, 1970)
Le cri de guerre de Plant, le rythme galopant et les références à la mythologie nordique capturent l'essence épique et mythologique du groupe.
L'art du contraste dynamique
"Ramble On" (Led Zeppelin II, 1969)
Parfait exemple de leur maîtrise des contrastes entre douceur acoustique et puissance électrique, avec des paroles inspirées de Tolkien."Stairway to Heaven" (Led Zeppelin IV, 1971)
Leur composition la plus célèbre incarne la structure progressive qui était leur signature, du folk acoustique délicat au rock épique final."Kashmir" (Physical Graffiti, 1975)
Considéré par Page comme la quintessence de Led Zeppelin, ce morceau fusionne influences orientales, orchestration complexe et puissance hypnotique.
Les racines blues
"Since I've Been Loving You" (Led Zeppelin III, 1970)
Blues monumental qui démontre leur capacité à transcender leurs influences pour créer quelque chose d'entièrement personnel et émotionnellement dévastateur."When the Levee Breaks" (Led Zeppelin IV, 1971)
Réinterprétation apocalyptique d'un blues de Memphis Minnie, avec la batterie légendaire de Bonham enregistrée dans une cage d'escalier.
L'exploration folk et acoustique
"That's the Way" (Led Zeppelin III, 1970)
Ballade acoustique délicate qui révèle la sensibilité et la profondeur émotionnelle sous la puissance habituelle du groupe."The Battle of Evermore" (Led Zeppelin IV, 1971)
Duo folk celtique avec Sandy Denny, illustrant leur connexion profonde avec les traditions musicales britanniques.
L'expérimentation et l'innovation
"Dazed and Confused" (Led Zeppelin I, 1969)
Avec l'utilisation révolutionnaire de l'archet de violon sur guitare et ses changements d'ambiance dramatiques, ce morceau définit leur approche expérimentale."No Quarter" (Houses of the Holy, 1973)
Paysage sonore atmosphérique mettant en valeur les claviers de Jones et l'ambiance cinématographique que le groupe pouvait créer.
La puissance rythmique
"Black Dog" (Led Zeppelin IV, 1971)
Riff complexe et structure rythmique sophistiquée démontrant la virtuosité technique du groupe et leur approche unique de la composition."Achilles Last Stand" (Presence, 1976)
Épopée de dix minutes portée par la batterie titanesque de Bonham et les couches de guitares orchestrales de Page.
Le funk et le groove
"Trampled Under Foot" (Physical Graffiti, 1975)
Influencé par Stevie Wonder, ce morceau montre leur capacité à créer un groove funk irrésistible sans sacrifier leur puissance caractéristique."The Crunge" (Houses of the Holy, 1973)
Hommage à James Brown qui illustre leur volonté d'incorporer des influences funk et R&B dans leur son.
La maîtrise acoustique
"Going to California" (Led Zeppelin IV, 1971)
Ballade folk délicate inspirée par Joni Mitchell, montrant leur sensibilité en dehors du cadre du hard rock."The Rain Song" (Houses of the Holy, 1973)
Composition quasi-orchestrale qui démontre l'ampleur de leur palette sonore et leur capacité à créer des pièces d'une beauté contemplative.
Les épopées et la mythologie
"In My Time of Dying" (Physical Graffiti, 1975)
Réinterprétation monumentale d'un spiritual traditionnel, transformé en une épopée blues-rock de onze minutes."Ten Years Gone" (Physical Graffiti, 1975)
Chef-d'œuvre émotionnel avec ses couches de guitares complexes et sa mélancolie poignante.
[à suivre]