Au cœur du grand oeuvre musical de Led Zeppelin (4)
À partir de 1970, le groupe est devenu un phénomène de stade et voyageait dans un Boeing 720 personnalisé baptisé "The Starship", avec bar, système vidéo et orgue électrique à bord.
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Dans l'histoire tumultueuse du rock, peu de groupes ont laissé une empreinte aussi profonde que Led Zeppelin. Formé sur les ruines des Yardbirds en 1968, ce quatuor britannique allait redéfinir les contours de la musique rock pour les décennies à venir. Jimmy Page, Robert Plant, John Paul Jones et John Bonham ont réalisé un grand oeuvre musical qui a transcendé les genres, fusionnant blues, rock, folk, musique classique et influences orientales dans un son distinctif et puissant.
Ce petit essai retrace leur parcours, des petites salles de Londres aux grands stadiums de l’Ouest américain, et leur ascension fulgurante faite d'excès légendaires, de controverses et d'une fin tragique. Il plonge également au cœur de leurs influences, de la quintessence de leur musique et de l’héritage qu’ils ont laissé.
Chapitre 4 : Des tournées mémorables
Les premières conquêtes américaines (1968-1969)
La première tournée américaine de Led Zeppelin débuta en décembre 1968, alors que leur premier album n'était pas encore sorti. Initialement programmés en première partie de groupes établis, ils ne tardèrent pas à créer une sensation immédiate, imposant rapidement leur présence dans les clubs de taille moyenne et les universités où ils se produisirent par la puissance brute de leurs performances.
Lors de cette première tournée, le groupe joua pendant plus de quatre heures au Boston Tea Party face à un public enthousiaste, épuisant son répertoire et improvisant des reprises de rock'n'roll classique. À la fin du concert, un Page épuisé déclarait : "Ce soir, j'ai vraiment tout donné. Je ne peux pas faire mieux." Cette performance marqua un tournant dans la conquête de l'Amérique par Led Zeppelin.
À chacun de ses retours aux États-Unis dans les mois qui suivirent, le groupe se produisait dans des salles toujours plus grandes. Leurs performances se distinguaient par leur intensité physique et par l'extension des versions live de leurs morceaux. "Dazed and Confused" pouvait durer jusqu'à 45 minutes, devenant un terrain d'improvisation et d’expérimentation privilégié pour Page.
Le sommet de la gloire (1970-1973)
À partir de 1970, Led Zeppelin est devenu un phénomène de stade. Le groupe voyageait désormais dans un avion privé baptisé "The Starship", un Boeing 720 personnalisé avec bar, système vidéo et même orgue électrique à bord. Cette extravagance reflétait leur statut de plus grand groupe live au monde.
Leur tournée britannique de 1971, après deux ans d'absence dans leur pays natal, fut particulièrement triomphale. Leur concert au Royal Albert Hall, immortalisé dans le film "The Song Remains the Same", montre le groupe au sommet de sa puissance scénique. Plant, en pleine possession de ses moyens vocaux, se déplace avec une énergie féline sur scène, tandis que Page, dans ses costumes brodés, incarne une sorte de guitariste-sorcier.
Le succès de leur tournée japonaise de 1972, au cours de laquelle ils reçurent un accueil frénétique rappelant la Beatlemania, fit la démonstration que leur popularité était devenue mondiale. C’est à cette occasion qu’ils commencèrent à utiliser un jeu de lumières plus élaboré et une sonorisation de plus en plus sophistiquée, établissant de nouveaux standards techniques en matière de performances rock.
Leur maîtrise scénique atteignit son apogée lors de la tournée américaine de 1973. Ils battirent le record d'audience établi par les Beatles au Shea Stadium, et réunirent plus de 56,000 spectateurs au Tampa Stadium. Leurs spectacles monumentaux incluaient désormais des solos élaborés de chaque membre, le plus notable étant celui de Bonham dans "Moby Dick", qui pouvait parfois durer 30 minutes, au cours duquel il jouait à mains nues sur ses tambours.
Le tournant de 1975 : Grandeur et décadence
La tournée américaine de 1975, qui a coïncidé avec la sortie de "Physical Graffiti", a marqué à la fois l'apogée du succès commercial de Led Zeppelin et le début de leur déclin scénique. Ils remplissaient désormais des stades entiers en quelques heures, comme les cinq concerts consécutifs au Madison Square Garden qui se vendirent en un temps record.
Mais l'immensité de ces événements commençait à créer une distance avec le public, et leurs performances, bien que toujours impressionnantes, perdaient en spontanéité. Les excès devenaient également plus visibles. L'entourage du groupe, surnommé les "Continental Hyenas", était devenu notoire pour ses comportements destructeurs, qui culminèrent lors de l'incident de l'Oakland Coliseum, au cours duquel le manager Peter Grant, le batteur John Bonham et John Bindon, qui faisait partie de l’équipe de sécurité, tabassèrent un membre du staff du promoteur..
Les tournées devenaient également plus éprouvantes physiquement. Plant, notamment, montrait des signes de fatigue vocale, perdant progressivement la capacité d'atteindre les notes les plus hautes qui avaient caractérisé le son initial du groupe.
Survie et résilience (1977-1980)
Cette tournée américaine de 1977 fut marquée par la tragédie et les difficultés personnelles. Plant reçut la nouvelle de la mort de son fils Karac, ce qui a entraîné l’annulation immédiate des dates suivantes. Lorsque le groupe reprit la route en 1979 pour la tournée "Knebworth", il s'agissait d'un Led Zeppelin différent.
Les deux concerts de Knebworth, devant 200,000 personnes chacun, le montrèrent luttant pour retrouver sa magie. Plant, encore affecté par la perte de son fils, restait plus statique sur scène. Page, aux prises avec ses addictions, pouvait être brillant un soir et erratique le suivant.
La dernière tournée européenne de 1980, volontairement limitée à des salles plus petites, représentait une tentative de revenir à l'essence de leur musique. Certains concerts de cette tournée montrèrent des moments de brillance retrouvée, particulièrement lors des passages acoustiques où le groupe semblait renouer avec sa sensibilité musicale fondamentale.
Cette tournée s'acheva en juillet 1980 à Berlin. Deux mois plus tard, John Bonham décédait, mettant fin à l'histoire de Led Zeppelin comme entité active.
L'héritage scénique
Les tournées de Led Zeppelin ont redéfini ce que pouvait être un concert rock. Parmi leurs innovations durables:
L'expansion du concept de "jam" dans un cadre rock, qui revenait à transformer des morceaux de 3-4 minutes en expériences musicales de 20-30 minutes
L'utilisation révolutionnaire des systèmes de sonorisation, leur ingénieur du son Sandy Beech développant de nouvelles techniques pour capturer leur puissance en live
L'intégration de séquences acoustiques intimes même dans les plus grands stades, qui ont contribué à créer des dynamiques contrastées
L'élaboration d'un spectacle de lumières synchronisé avec la musique, précurseur des productions scéniques modernes
Les enregistrements live officiels comme "The Song Remains the Same", "How The West Was Won" et "Celebration Day" ne capturent que partiellement la magie de Led Zeppelin en concert. C'est peut-être dans les nombreux enregistrements bootleg, qui préservent l'immédiateté et la spontanéité de leurs performances spécifiques, que l'on trouve la meilleure documentation de leur grandeur scénique.
Ces tournées, avec leurs triomphes et leurs excès, leurs moments de transcendance musicale et leurs tragédies personnelles, racontent l'histoire complète de Led Zeppelin - un groupe qui vivait pour la communion directe avec son public et qui, sur scène plus que partout ailleurs, justifia pleinement son statut légendaire.